Il existe un état d’esprit que l’on pourrait appeler La Zone.
Non, rien à voir avec The Twilight Zone (La Quatrième Dimension chez nous). Quoi que.
Vous en avez peut-être déjà fait l’expérience, lorsque vous êtes totalement absorbé par un livre, un film, quelque chose.
Vous reposez le livre, le film se termine, et là, vous avez l’impression de recommencer à respirer, comme si vous aviez retenu votre souffle pendant un interminable moment. Vous vous sentez groggy, désorienté, les mêmes sensations que celle qu’on éprouve en se réveillant au milieu de la nuit après un rêve, ou un cauchemar, qui déjà disparait de votre esprit.
Pour les artistes, c’est ce moment qui s’étire indéfiniment, c’est cette sensation qu’il n’existe plus rien d’autre que ce que vous êtes en train de faire. Vous vous consacrez entièrement à la tâche. Vous-même n’existez plus, vous n’êtes plus qu’un conduit qui essaie de mettre en forme quelque chose, une idée, une sensation…
C’est rare, mais ça arrive. Ca peut même être effrayant de s’oublier totalement comme ça.
L’informaticien visite souvent la Zone. Il a cela de commun avec l’artiste.
Prenez un informaticien en train de programmer.
Non, je ne vous parle pas des ‘pisseurs de code’, qui ont à leur disposition la définition exacte que ce que le programme doit faire, découpé en modules par d’autres équipes. Celui-là, le pauvre, ne peut s’exprimer comme il le voudrait.
Non, prenez celui qui a de la liberté, celui qui travaille pour lui même, ou qui oeuvre sur quelque chose qu’il aime vraiment. Vous le verrez complètement absorbé par sa tâche. Le temps passe sans qu’il s’en aperçoive, il répond machinalement lorsqu’on lui adresse la parole, mais il est clairement ailleurs.
Si un tableau est à sa disposition, il le couvrira de schémas, d’abréviations, d’annotations diverses. Sans tableau, ce sont les feuilles de papiers qui jonchent son bureau qu’il couvrira de gribouillis.
Parfois il se lève subitement, sort de son bureau, arpente les couloirs le regard lointain. Ses mains s’agitent, comme pour saisir littéralement un concept trop abstrait pour n’être manipulé que par son esprit. Il marmonne, se lance dans des monologues qui n’ont plus rien d’interne, il peut même tenir les deux pans d’une conversation à lui tout seul.
Et il se rassoit, en accord avec lui-même, pour poursuivre sa besogne.
Finalement, des minutes ou des heures plus tard, il relève la tête et inspire un grand coup, comme un échappé de la noyade qui émerge de l’eau. Il regarde à droite et à gauche, cligne des yeux. Une curieuse sensation l’effleure, un manque, quelque chose d’extrêmement important qui lui aurait échappé. Puis plus rien. C’est passé. Il est sorti de la Zone.
Peu importe. Il y retournera bien assez tôt.
K.
